07/11/2010

Le Sénat sévère sur le "chantier mal préparé et inabouti" de la réforme de l'AAH - Localtis.info

Le Sénat sévère sur le "chantier mal préparé et inabouti" de la réforme de l'AAH - Localtis.info

Le Sénat sévère sur le "chantier mal préparé et inabouti" de la réforme de l'AAH

Publié le 29 octobre 2010

La commission des affaires sociales du Sénat a remis un rapport très critique sur la réforme de l'allocation aux adultes handicapés, la principale prestation en la matière avec une dépense annuelle de sept milliards d'euros. Le texte pointe notamment le manque de maîtrise d'une dépense aux déterminants mal connus, mais aussi les insuffisances de la réforme en cours de cette prestation, jugée mal préparée "et encore très largement inapplicable".

Annoncée dès l'automne 2007 et supposée entrer en vigueur le 1er janvier 2011, la réforme de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) n'en finit pas de prendre du retard (voir notre article ci-contre du 15 septembre 2010). Bien qu'un projet de décret soit en circulation depuis avril 2010, la date du 1er janvier paraît aujourd'hui très incertaine. Lorsqu'il a reçu, le 13 septembre dernier, les représentants du comité d'entente, qui regroupe 66 associations représentant les personnes handicapées, le chef de l'Etat s'est d'ailleurs bien gardé d'apporter des précisions sur le calendrier de la réforme. Le communiqué de l'Elysée publié après cette rencontre indique simplement que la revalorisation de cette prestation "doit être l'occasion de mener à son terme la réforme de l'allocation aux adultes handicapés, afin qu'elle soit mieux adaptée aux besoins des personnes qui ne peuvent pas travailler, aussi bien qu'aux besoins de ceux qui peuvent travailler".

Des écarts qui se creusent

Le rapport d'information de la commission des affaires sociales du Sénat - rédigé par Albéric de Montgolfier, Auguste Cazalet et Paul Blanc - n'est pas tendre avec la gestion et la réforme de cette prestation. Il formule en effet une série de critiques - souvent sévères - sur de nombreux aspects de l'AAH. Les premières concernent le manque de visibilité budgétaire de cette prestation. Les dépenses de l'AAH ont en effet progressé de 39% entre 2002 et 2009, pour atteindre près de 7 milliards d'euros. Sur la même période, le nombre de bénéficiaires s'est accru de 13%, pour atteindre 850.700 en 2009 (et une projection d'environ 900.000 pour 2011). Même si on se limite à la période antérieure à 2007 - c'est-à-dire avant la décision du chef de l'Etat de revaloriser le montant de l'AAH de 25% sur cinq ans -, les taux de progression sont respectivement de 21% et 7%.
Le rapport de la commission des affaires sociales pointe aussi l'écart quasi systématique entre les crédits inscrits en loi de finances initiale au titre de l'AAH et les dépenses constatées. Acceptable jusqu'en 2006 (autour d'une quarantaine de millions d'euros), cet écart ne cesse de croître depuis lors. De 69 millions d'euros en 2007, il est passé à 236 millions en 2008 puis à 337 millions en 2009 et devrait atteindre 404 millions d'euros cette année, soit 6,6% de la dépense budgétée. Pour les rapporteurs, "il est patent que les conséquences du dynamisme de l'AAH n'ont pas été tirées en termes budgétaires". Ils se font même plus précis en constatant : "Le gouvernement a manifestement ignoré la tendance qui s'est dessinée et amplifiée depuis 2006. De surcroît, les mesures d'économies, mises en avant dans chaque projet annuel de performances, n'ont jamais été confirmées. Quand bien même elles auraient été réalisées, leur montant n'aurait jamais suffi à compenser la progression constatée de la dépense." Cet écart croissant pèse lourdement sur la trésorerie de la Caisse nationale d'allocations familiales, puisque celle-ci avance le versement des dépenses non budgétées, en attendant le remboursement de l'Etat.

Des déterminants qui restent mal connus

Bien que la création de l'AAH remonte à 1975, le rapport constate que les déterminants de cette prestation ont des effets mal connus. Il est, en particulier, quasi impossible de déterminer la part respective de l'effet volume (nombre de bénéficiaires) et de l'effet prix (montant de la prestation). Faute d'une explication qui s'imposerait, les auteurs reprennent plusieurs hypothèses tirées du rapport des inspections générales des affaires sociales et des finances en 2006 : "Le meilleur accès au droit des personnes handicapées, une légitimité accrue de la reconnaissance du handicap, la hausse du nombre de personnes isolées en situation de handicap, qu'elle provienne de phénomènes souhaités (accès accru à l'autonomie, politiques de maintien à domicile ou d'hospitalisation de jour) ou subis (diminution des solidarités familiales ou locales)". S'y ajoutent des effets conjoncturels (la revalorisation de 25% du montant de l'AAH) ou démographiques. Enfin, la dernière explication à la croissance continue des effectifs et des dépenses tient à l'absence de sortie du dispositif, comme le relevait déjà le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales et de l'Inspection générale des finances, qui voyait dans l'AAH "un dispositif marqué par une forte inertie, aucune politique de sortie n'ayant été mise en place afin de rendre possible l'insertion sociale et professionnelle de ses bénéficiaires". Dans ces conditions, la réforme annoncée par Nicolas Sarkozy en juin 2008 - qui met l'accent sur la sortie vers l'emploi - était particulièrement attendue.

Une réforme en attente d'un "nouveau souffle"

La commission des affaires sociales du Sénat ne semble pourtant guère convaincue et évoque plutôt "une réforme en attente d'un nouveau souffle". Les difficultés actuelles de l'AAH tiennent en effet à plusieurs facteurs : la définition juridique ambiguë de l'AAH et de ses compléments (à la fois minimum social et compensation de l'incapacité, sur la base d'un critère médical), la difficulté à apprécier le taux d'incapacité - décision souvent vécue par les personnes handicapées comme subjective et arbitraire (avec l'existence de "seuils couperets" à 50% ou 80% d'incapacité) -, la difficulté à définir l'incapacité à travailler ou la restriction substantielle et durable d'accès à l'emploi, etc. S'ajoute à ces éléments ce que le rapport du Sénat appelle "le chevauchement des publics éligibles au RSA et à l'AAH", notamment à travers l'attribution de l'AAH, par certaines maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), à des personnes de plus de 50 ans bénéficiaires du RMI/RSA depuis plus de trois ans (l'absence d'insertion préjugeant alors d'une "restriction substantielle et durable d'accès à l'emploi").
La question des MDPH et des commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) est en effet au coeur du rapport de la commission des affaires sociales : "Le caractère ambigu des critères d'éligibilité à l'AAH explique en grande partie les disparités territoriales observées dans les pratiques des MDPH. Cette iniquité de traitement des demandes appelle des mesures renforcées d'harmonisation, d'évaluation et de contrôle des procédures mises en oeuvre par les équipes pluridisciplinaires et les CDAPH." S'appuyant sur l'étude de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) sur les conditions d'attribution de l'AAH, le rapport observe en effet des écarts entre départements qui peuvent difficilement s'expliquer par les seules différences sociodémographiques. Les taux de demande de la prestation varient ainsi de 3 à 16 pour mille habitants selon les départements (avec une moyenne à 10), tandis que les taux de bénéficiaires pour mille habitants de 20 à 59 ans vont de 11,6 à 54,8, soit un rapport de près de 1 à 5. Si l'on s'en tient aux seules décisions des CDAPH, le taux d'attribution de l'AAH (premières demandes et renouvellements confondus) varie de 50% à 84% selon les départements.

Un chantier inabouti, mais à poursuivre

Face à ces constats, la réforme de l'AAH apparaît, aux yeux des rapporteurs, comme "un chantier mal préparé et inabouti". Si la commission des affaires sociales ne conteste pas la justification et la finalité de la réforme, elle considère que son manque de préparation conduit à la rendre "inapplicable". La principale faiblesse tient à l'absence de définition de la notion d'employabilité, pourtant au coeur de la réforme. Le rapport commandé sur ce point à un groupe d'experts par Valérie Létard - alors secrétaire d'Etat chargée de la Solidarité - avait d'ailleurs conclu à l'impossibilité de construire un outil analytique ou automatisé d'évaluation de l'employabilité (sur le modèle de la grille Aggir pour la dépendance) et préconisait plutôt "la mise en place d'un processus multifactoriel, dynamique et évolutif d'évaluation et de suivi" (voir notre article ci-contre du 11 février 2010). Dans ces conditions, les rapporteurs se disent plus que réservés "sur le principe de la création d'une allocation transitoire de soutien à l'insertion professionnelle" qui risquerait d'accroître encore les risques de confusion des publics éligibles à l'AAH et au RSA. Autres difficultés pointées par le rapport : l'absence de parution des décrets sur les nouvelles modalités de cumul des revenus d'activité avec l'allocation et sur la déclaration trimestrielle des ressources (DTR), ainsi que l'absence de budgétisation de la réforme.
Malgré toutes ces insuffisances, le rapport conclut qu'"il convient néanmoins, dès à présent, de préparer la prochaine étape, en veillant à ce que les nouvelles règles conditionnant l'attribution de cette prestation gagnent en cohérence et en clarté et ne se traduisent pas par une augmentation non maîtrisée de la dépense et des disparités territoriales grandissantes. Cela suppose que l'Etat reprenne toute sa place dans l'élaboration des procédures d'évaluation des demandes et qu'il se donne les moyens d'en assurer le contrôle permanent ainsi qu'une évaluation régulière". La commission des affaires sociales s'y emploie en formulant une douzaine de propositions, dont celle consistant à garantir une meilleure équité de traitement des demandes d'AAH grâce à des mesures renforcées d'harmonisation, d'évaluation et de contrôle des procédures mises en oeuvre par les équipes pluridisciplinaires et les CDAPH.

Jean-Noël Escudié / PCA

Aucun commentaire:

Ma sélection

Pétition · Pdt #APF : défense handi = stop exclusion et asso démocratique militante revendicative ! · Change.org

Pétition · Pdt #APF : défense handi = stop exclusion et asso démocratique militante revendicative ! · Change.org