Concrètement, cela signifie que, pour la HAS, les quatre molécules commercialisées en France pour traiter la maladie d'Alzheimer et les démences apparentées n'ont pas de véritable efficacité thérapeutique. Elle implique aussi que ces médicaments, actuellement remboursés à 65%, ne le seront plus qu'à hauteur de 15%. Les médicaments concernés sont le donézépil (Aricept, laboratoire Eisai), la galantamine (Reminyl, laboratoire Janssen-Cilag), la rivastigmine (Exelon, fabriqué par Novartis) et la mémantine (Ebixa, produit par Lundbeck).
La décision de la HAS a provoqué une levée de boucliers parmi les spécialistes de la maladie d'Alzheimer et les associations de patients, qui interprètent cette dégradation de la note des médicaments comme un premier pas vers leur déremboursement. Une pétition sur Internet, dont la source n'est pas indiquée, appelle les « proches de malades d'Alzheimer » à se mobiliser contre «le déremboursement des médicaments anti-Alzheimer». Pourtant, à ce stade, l'avis de la HAS n'aura aucune conséquence pratique pour une grande partie des malades, pris en charge à 100% au titre d'affection de longue durée. Selon les données de l'assurance-maladie, il y avait fin 2009 un peu plus de 240.000 personnes prises en charge au titre de l'ALD 15 (maladie d'Alzheimer et démences apparentées), alors qu'on estime que le nombre de patients diagnostiqués est de l'ordre de 400.000, et qu'il en existe autant qui ne sont pas diagnostiqués (soit entre 800.000 et 850.000 patients en tout).
La principale association, France Alzheimer, n'en est pas moins montée au créneau, diffusant un communiqué qui qualifie la décision de la HAS de «très inquiétante» et « fortement préjudiciable aux personnes malades». Pour France Alzheimer, «rien ne justifie aujourd'hui la révision du SMR des médicaments anti-Alzheimer».
L'association affecte d'ignorer que, depuis des années, l'efficacité des traitements est contestée, alors que des effets indésirables graves ont été signalés. D'après une thèse de médecine récemment soutenue par un généraliste, le docteur Louis-Adrien Delarue, les médicaments anti-Alzheimer coûtent en moyenne 250 millions d'euros par an à la sécurité sociale (voir notre article ici). Aucune étude scientifique n'a démontré qu'ils ont un effet clinique objectif, qu'ils ralentissent la progression de la maladie ou qu'ils permettent de retarder le moment où les patients sévèrement atteints doivent être placés dans une institution. Et les prescripteurs doivent faire pratiquer un électrocardiogramme aux patients ayant des antécédents cardiaques, car des accidents sont possibles.
Pourquoi donc prescrire des médicaments qui ne servent à rien, coûtent cher et peuvent être dangereux ? L'argumentation des défenseurs des médicaments est clairement formulée par le professeur Bruno Dubois, neurologue, directeur de l'Institut de la mémoire et de la maladie d'Alzheimer, à l'hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière :
«Si ces médicaments n'enrayent pas l'évolution de la maladie, ils agissent sur les symptômes et sur la qualité de vie des patients. Bien que modeste, leur efficacité est réelle. Il y a danger à ne se fonder que sur la seule rationalité économique. Au-delà de son action sur le symptôme, le médicament est un lien entre le malade et le médecin. Cesser d'en prescrire ferait courir le risque de voir de nombreux patients disparaître dans la nature.»
Promotion très active des labos
Cette déclaration de Bruno Dubois a été faite lors d'une interview au Journal du dimanche, le 18 septembre, quelques jours avant la journée mondiale de la maladie d'Alzheimer. Le projet d'avis de la HAS, non encore adopté, avait déjà été divulgué à cette date et les spécialistes de l'Alzheimer comme les associations ont fait campagne en faveur des médicaments.Le professeur Mathieu Ceccaldi, chef de service neurologie au CHU de La Timone, à Marseille, a tenu des propos similaires à ceux de Bruno Dubois. Ce dernier a présenté, à la veille de la fameuse journée mondiale, les résultats d'une étude selon laquelle le donézépil ralentirait l'atrophie de l'hippocampe chez les patients traités précocément. L'hippocampe est une région du cerveau importante pour la mémoire, et l'une des premières zones cérébrales atteintes par la maladie d'Alzheimer.
Ce résultat, qui a été monté en épingle par plusieurs médias, n'est en fait intéressant que du point de vue de la recherche. Le ralentissement de l'atrophie de l'hippocampe n'a pas de signification clinique et l'on ne peut rien en conclure quant à la balance bénéfices-risques du médicament. Cela n'a pas empêché Le Parisien de titrer, le 20 septembre : « Il n'y a jamais eu autant d'espoir pour les malades d'Alzheimer». D'autre part, le même résultat avait déjà été annoncé en juillet par Pfizer et Eisai, les deux firmes qui financent l'étude, lors de la Conférence internationale de l'Association Alzheimer.
Présenter cette étude comme un scoop médical deux mois plus tard relevait de la communication publicitaire plus que de l'information scientifique.
C'est là l'une des clés du problème des médicaments anti-Alzheimer : en dépit de leur faible efficacité, ils font l'objet d'une promotion très active des laboratoires. Les critiques de France Alzheimer à l'égard de la HAS ne manquent pas de sel si l'on considère que cette instance, supposée indépendante, s'est fait épingler par le Conseil d'Etat pour avoir été trop favorable aux médicaments ! La HAS avait en effet publié une recommandation pour la pratique clinique relative à la maladie d'Alzheimer qui engageait les médecins à prescrire systématiquement un traitement, et qui ne mentionnait que de manière allusive les effets indésirables les plus graves.
Cette recommandation Alzheimer, destinée à informer et à guider les praticiens, a été publiée en mars 2008, peu après l'annonce très médiatisée du Plan Alzheimer lancé par le président de la République. Elle a été attaquée devant le Conseil d'Etat par une association, Formindep, qui défend «une formation et une information médicales indépendantes». Formindep avait découvert que les experts chargés de concevoir et rédiger la recommandation n'avaient pas respecté les exigences légales concernant leurs déclarations de liens d'intérêts. Or, une proportion importantes de ces experts étaient liés aux firmes qui fabriquent les médicaments anti-Alzheimer.
La présidente du groupe de travail chargé de la conception du texte avait des liens d'intérêts majeurs avec les quatre laboratoires concernés, de même que six autres des vingt membres du groupe. Et ces chiffres étaient sans doute en dessous de la réalité puisque plusieurs experts, en infraction avec la loi, n'avaient pas fait de déclarations publiques d'intérêts. En mai 2011, la HAS a finalement retiré sa recommandation Alzheimer, qui ne reflétait pas l'état des connaissances scientifiques, comme l'a démontré Louis-Adrien Delarue.
Des liens d'intérêts multiples
On peut ajouter que la HAS avait, en 2007, considéré que les traitements, malgré leur faible efficacité, rendaient un service médical important parce qu'ils aidaient à structurer la prise en charge des patients. On retrouve là l'argument de Bruno Dubois : sans médicament, le patient risque d'être abandonné.Pour Louis-Adrien Delarue, cet argument n'a pas de sens : «On n'a pas besoin du médicament pour voir le patient, et on ne s'occupe pas moins bien de lui parce qu'on ne lui prescrit pas de traitement médicamenteux. Il me semble absurde de réduire la prise en charge à l'aspect pharmacologique.»
C'est pourtant ce que semblent faire les associations, reprenant le discours des professeurs hospitaliers spécialistes de l'Alzheimer. Mais les unes comme les autres sont très liées aux laboratoires. Le professeur Dubois, déjà cité, a eu ces dernières années des contrats avec Bristol-Myers Squibb, Eisai, Elan, Eli-Lilly, Janssen, Novartis, Roche, Sanofi et Servier. Son Institut de la mémoire, premier centre français spécialisé dans la maladie d'Alzheimer, est soutenu par Eisai, Novartis, Roche et Sanofi. Il fait partie de la «faculté» d'experts de l'institut Lundbeck. Il préside aussi le comité scientifique de l'International Foundation for Research on Alzheimer Disease (Ifrad), organisme dont l'objectif est de collecter des fonds pour la recherche sur la maladie.
L'Ifrad a été fondée par le docteur Olivier de Ladoucette, psychiatre et gériatre. La fondation organise depuis 2005 un gala annuel, événement parisien lors duquel on peut croiser des personnalités telles que l'ex-impératrice d'Iran, la Shahbanou Farah Pahlavi, ou encore Claire Chazal, Jane Birkin, Alain Delon, Alain Souchon, Laurent Voulzy... En 2005, le gala de l'Ifrad s'était déroulé au Palais de Chaillot et avait permis à Alain Delon d'acheter pour 13.000 euros un tableau qu'il avait offert à l'ex-impératrice, tandis que la fondation récoltait 400.000 euros pour financer ses recherches...
Le professeur Dubois a aussi été jusqu'à l'année dernière président du conseil scientifique de l'association France Alzheimer. Le nouveau conseil scientifique, présidé par le professeur Mathieu Ceccaldi, compte au moins deux membres ayant des liens d'intérêts avec des laboratoires qui fabriquent des médicaments anti-Alzheimer.
L'association France Alzheimer en tant que telle reçoit aussi de l'argent des laboratoires. D'après les données de la HAS, France Alzheimer a reçu, en 2009, une aide de 20.000 € de Novartis et de 6.000 euros de Janssen-Cilag. A quoi s'ajoutent 15.000 € de Sanofi-Aventis et 5.000 € de Nutricia, filiale de Danone spécialisée dans la nutrition clinique. Soit au total 46.000€ distribués par des firmes, pour la seule année 2009, ce qui représente environ 15% de la moyenne annuelle des sommes totales investies par l'association.
Est-il raisonnable de penser que ces liens d'intérêts multiples n'ont aucune influence sur la position de défense systématique des traitements prise par les experts ou les associations comme France Alzheimer, qui répètent le discours de leurs conseillers scientifiques ? L'étonnant, en réalité, est que malgré l'emprise de l'industrie, la HAS ait enfin admis que des médicaments qui ne servent à rien ne peuvent pas rendre un service majeur...
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