28/04/2011

La hausse vertigineuse des revenus du patrimoine | Mediapart

La hausse vertigineuse des revenus du patrimoine | Mediapart
mon comm : plus les hauts revenus grimpent, plus les bas revenus baissent : il faut bien financer les plus riches : remercions ceux qui vont perdre leur AAH grâce au projet de réforme des décisions en CDAPH pour cette allocation !

«Tout pour les riches !...» L'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) préfère la froideur des chiffres aux titres polémiques. Il s'est donc bien gardé d'user d'une semblable formule pour résumer l'étude qu'il publie, ce jeudi 28 avril, consacrée aux revenus et patrimoines des Français. C'est pourtant ce qui se dégage de ces travaux : si les inégalités se sont formidablement creusées en France, surtout depuis 2004, c'est d'abord sous l'effet d'un spectaculaire enrichissement... des plus riches !

Un chiffre en donne la mesure : les revenus du patrimoine progressent actuellement à un rythme de 11% l'an. A un an de l'élection présidentielle, cette étude arrive donc à point nommé pour éclairer l'un des enjeux majeurs du scrutin : parce qu'elle met en évidence la grave injustice que constituerait la réforme de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) que prépare Nicolas Sarkozy; parce qu'elle place la gauche face à ses responsabilités.

Si cette étude revêt une grande importance, c'est que dans le débat sur les inégalités on manque souvent de données récentes ou fiables. Depuis qu'Edouard Balladur a supprimé en 1993 le Centre d'études, des revenus et des coûts (CERC), le thermomètre a été partiellement cassé. L'Insee a toutefois pris le relais, mais ses études méticuleuses, adossées à une multitude de sources, dont les revenus fiscaux, prennent du temps à être collectées. L'institut ne mène ainsi une enquête approfondie sur les revenus et le patrimoine que tous les six ans.

Ce sont les premiers résultats de cette précieuse enquête, conduite d'octobre 2009 à février 2010, que les statisticiens livrent aujourd'hui. Publication pour le moins opportune : à un an de la présidentielle, les chiffres mis au point par l'Insee mettent effectivement en lumière les formidables inégalités qui opposent les Français face aux revenus et aux patrimoines, et les considérables enjeux du débat qui commence autour de la réforme fiscale.

Voici, ci-dessous, l'un des principaux volets de cette enquête de l'Insee, intitulé « Inégalités de niveau de vie et pauvreté de 1996 à 2008 ». C'est dans ce chapitre que l'on trouve les constats les plus accablants de l'Insee.

Cliquer sur le document pour l'agrandir. Pour le télécharger: cliquer ici.

Un revenu médian de 1.582 euros par mois

Le document commence par un premier constat : les Français disposent de revenus globalement très faibles. « En 2008, le niveau de vie médian des personnes vivant dans un ménage en France métropolitaine s'élève à 19.000 euros par an, soit 1.580 euros par mois. » Autrement dit, 50% des Français ont des revenus inférieurs à ce seuil. Cette statistique présente certes une faiblesse : comme l'enquête s'arrête aux évolutions constatées en 2008, elle commence à dater. Mais elle révèle une réalité au cœur de la situation française : si notre pays est globalement riche, les revenus sont pour le plus grand nombre extrêmement contraints.

De surcroît, avec la crise économique historique qui a commencé en 2007 et qui s'est brutalement creusée en 2008, les chiffres n'ont sûrement pas perdu de leur pertinence. Les fractures sociales se sont depuis encore aggravées.

Le deuxième constat inquiétant que fournit ce document est lié au creusement des inégalités.

Cliquer sur le tableau pour l'agrandir

Certes, si l'on examine le tableau ci-dessus, les évolutions sur longue période ne semblent pas trop graves. « Tout au long de la période 1996-2008, la dispersion des niveaux de vie mesurée par le rapport entre le niveau de vie plancher des 10% des personnes les plus aisées et le niveau plafond des 10% des personnes les plus modestes évolue peu : entre 1996 et 2001, le rapport fluctue entre 3,4 et 3,5, puis à partir de 2002, il varie entre 3,3 et 3,4% », relève l'Insee.

Mais cette tendance globale, qui ne fait pas franchement apparaître un creusement des inégalités, est trompeuse. Et pour bien se faire comprendre, l'Insee établit en fait que cette période 1996-2008 recouvre deux phases distinctes : un première phase 1996-2004, puis une seconde phase 2004-2008. Et les constats que fait l'Insee pour ces deux périodes forcent l'attention.

Pour la première période, l'Insee relève en effet que les revenus des plus riches ont vivement progressé, mais sans que les statistiques laissent apparaître un creusement global des inégalités, car les revenus les plus bas semblent eux aussi avoir connu une évolution positive. Pourtant, l'étude met en évidence que ce n'est qu'une illusion d'optique, car en réalité, si ces revenus modestes se sont bien comportés, c'est d'abord parce que les revenus intermédiaires les ont rejoints.

En somme, les couches sociales intermédiaires ont perdu de leurs avantages – ou ont été déclassées – et ont en partie rejoint les couches les plus modestes. « La tendance à la baisse des inégalités entre 1996 et 2004 s'apparente ainsi à un rapprochement des niveaux de vie entre les groupes intermédiaires et le groupe des ménages les plus modestes, tandis que la part détenue par les 10% des personnes les plus aisées augmentait », décrypte l'Insee.

Une augmentation des inégalités « par le haut »

Le diagnostic est donc, là encore, accablant : il fait apparaître une société de plus en plus déchirée, avec à une extrémité une toute petite partie de la population, la plus fortunée, dont les revenus sont toujours en forte hausse ; et un nivellement vers le bas de tout le reste de la population...

Mais le constat le plus inquiétant est celui qui suit : brutalement, depuis 2004, une nouvelle tendance est apparue. L'Insee la qualifie d'une façon qui retient l'attention : il s'agit d'une « tendance à l'augmentation des inégalités “par le haut”».

Explication de l'Insee : « Depuis 2004, les niveaux de vie des personnes les plus modestes cessent d'augmenter plus rapidement que les niveaux de vie intermédiaires alors que ceux des plus aisés continuent leur progression, si bien que le rapport entre la masse des niveaux de vie détenue par les 20% les plus aisés et celle détenue par les 20% les plus modestes augmente de 4 à 4,3. » Et l'étude ajoute : « Cette plus forte progression du niveau de vie dans le haut de la distribution est liée à une forte hausse des revenus, en particulier des revenus du patrimoine, qui sont fortement concentrés chez les personnes les plus aisées. »

Et c'est alors que l'Insee lâche ce chiffre qui risque d'être au cœur des controverses fiscales du débat présidentiel : « Ainsi, de 2004 à 2008, les revenus du patrimoine par unité de consommation (ici la définition - NDLR) du dernier décile (les 10% les plus riches) augmentent de 11% par an en moyenne, expliquant la quasi-totalité de l'accroissement spécifique de leur niveau de vie. »

Dans l'une des nombreuses annexes que comprend cette étude, l'Insee fait un « zoom » sur ces très hauts revenus, et fournit des chiffres qui donnent encore plus le tournis. Alors que « la médiane des revenus déclarés par unité de consommation progresse de 5,2% en euros constants entre 2004 et 2008 », la hausse des revenus atteint « +9,6% pour le dernier centile » (les 1% les plus riches), « +18,9% pour le dernier millime » (les 1‰ des plus riches), « +32,7% pour le dernier dix-millime ».

Ce que décrit l'Insee, c'est donc l'accentuation des inégalités, sous la forme d'un enrichissement sans précédent d'une infime petite minorité, et cela en un laps de temps très court. A la fin des années 1980, les socialistes avaient subi dans l'opinion l'onde de choc d'une telle phase de prospérité pour les grandes fortunes : on avait appelé cela les « années fric », et cela n'avait pas peu contribué à la débâcle de la gauche lors des législatives de 1993. François Mitterrand avait eu beau se gausser de ceux « qui s'enrichissent en dormant», il n'avait pas corrigé cette fâcheuse impression que la gauche avait contribué au règne de l'argent-roi. Mais force est de constater que le phénomène d'aujourd'hui n'a rien à voir avec celui d'hier : depuis 2004, la tendance est devenue massive.

Ce constat peut s'énoncer encore plus brutalement : depuis 2004, une petite oligarchie, socialement très restreinte, accapare une part de plus en plus spectaculaire des richesses créées par le pays. « Entre 2004 et 2008, ajoute encore l'Insee, la part des revenus déclarés par le 0,1% de la population la plus aisée passe de 1,72% à 2,03% et celle détenue par les 0,9% suivants passe de 4,76% à 5,04%. En revanche, la part perçue par les 9% suivants reste stable (autour de 20,7%) et celle du reste de la population diminue légèrement (72,5% en 2008 contre 72,86% en 2004). »

Des timidités ou des frilosités à gauche

Là encore, il faut manier ces statistiques avec précaution, parce que, depuis 2008, la crise est venue rebattre les cartes, comme l'atteste le tassement du rendement de l'ISF. Toutefois, de l'avis de nombreux experts, cette crise a eu des conséquences sociales graves pour les plus bas revenus et des effets seulement passagers pour les plus hauts revenus. Le plus vraisemblable est donc que les inégalités se soient encore creusées depuis 2008.

Ce ne sont d'ailleurs pas là les seules révélations qu'apporte l'étude. L'Insee fournit, dans la foulée, une étude très riche sur les inégalités face au logement et à l'immobilier (l'étude peut être téléchargée ici). L'institut apporte par ailleurs un éclairage alarmant sur le modèle d'intégration français : dans une étude spécifique sur le niveau de vie des descendants d'immigrés, on apprend ainsi que « 21% des descendants d'immigrés sont pauvres, soit deux fois plus que les Français de parents nés Français » (l'étude peut être téléchargée là).

Mais c'est à l'évidence le creusement général des inégalités qui va d'abord faire débat. Dans le camp de la droite, comme dans le camp de la gauche. Pour Nicolas Sarkozy, l'étude de l'Insee arrive en effet au plus mauvais des moments. Le chef de l'Etat s'apprête à rendre ses derniers arbitrages pour la réforme de l'ISF.

Or, on sait le scénario qui se dessine. Loin de jouer de l'arme fiscale pour atténuer les inégalités qui se sont creusées depuis 2004, il souhaite exonérer d'ISF près de la moitié de ses redevables, soit environ 300.000 contribuables parmi les plus fortunés. En clair, loin de corriger la tendance à une envolée des inégalités, il se prépare à la creuser encore davantage. Après avoir décroché le qualificatif de « président des riches », le voilà qui entre en campagne pour enlever celui de

« président des ultra-riches et des oligarques... ».

A gauche, cette étude risque également de faire débat. Car si d'une sensibilité à l'autre, la plupart des ténors s'accordent à préconiser une réforme fiscale ambitieuse, à commencer par une réforme de la fiscalité du patrimoine, il existe de fortes nuances. Dominique Strauss-Kahn et François Hollande, pour ne parler que d'eux, sont par exemple partisans de rendre l'ISF déductible des droits de succession, ce qui pourrait avoir pour effet de faire disparaître discrètement l'ISF tout en minorant les droits de succession. Dans un face-à-face organisé par Mediapart entre François Hollande et l'économiste Thomas Piketty (lire Hollande-Piketty : confrontation sur la révolution fiscale), ces nuances qui opposent certains ténors de gauche, et qui risquent au fil des mois de se creuser, étaient déjà très perceptibles. On a tôt fait de s'en rendre compte en visionnant la vidéo ci-dessus en deux parties retraçant ce face-à-face..

C'est dire si cette étude est précieuse. Ce sera la borne témoin du débat fiscal de l'élection présidentielle. Avec l'enjeu qui sous-tend les constats de l'Insee : faut-il une société qui ne fait la fortune que d'une infime minorité ? Ou faut-il un système plus solidaire ?

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