17/03/2011

La sexualité des personnes handicapées relève du social et... du droit ?

Point de vue

La sexualité des personnes handicapées relève du social et... du droit ?

LEMONDE.FR | 15.03.11 | 10h01
La sexualité des personnes handicapées est un réel et sérieux sujet pour qui s'interroge sur la prise en charge et la solidarité à mettre en œuvre vis-à-vis de cette population. Elle ne doit pas conduire à la banalisation d'une question sociale qui doit effectivement faire débat. Sa prise en compte interroge les pratiques professionnelles de manière indéniable. Pour autant, si l'on ne doit pas oublier l'adage que l'enfer est trop souvent pavé de bonnes intentions, s'y ajoute une approche totalement univoque du sujet, et du coup l'émotion l'emporte sur la réflexion. Certes, il ne s'agit pas d'une question morale dans le sens où ce n'est pas la position moralisante des uns contre la position se voulant amorale des autres qu'il faut considérer.
La question de la sexualité est une question qui ne concerne pas le seul secteur du "handicap" mais bien l'ensemble de la société. Et de ce fait, le sujet ne peut et ne doit s'appréhender d'un seul point de vue de la morale dont chacun sait qu'elle est à géométrie variable, ni de celui d'une seule catégorie de population qui en serait victime. Ce que certains de notre génération appelaient "la misère sexuelle" n'est pas l'apanage d'une seul groupe social, aussi particulier soit-il. Elle a été à certaines époques celle de la jeunesse ou celle des immigrés… La liste n'est pas exhaustive et reste aujourd'hui une réalité selon les conditions de genre et de sexe au sein de différentes sociétés.
D'une certaine manière, ce que l'on appelle le plus vieux métier du monde a constitué de manière plus ou moins revendiquée cette fonction de l'éradiquer. Sauf que pas plus que le parapluie empêcherait l'orage de tomber pour faire le beau temps, la prostitution n'a conduit à l'épanouissement d'une sexualité libérée. Soumise à la marchandisation des corps et s'inscrivant dans des rapports d'oppression et d'exploitation, elle participe à une modalité d'échange relationnel soumis aux rapports de force entre groupes sociaux. Elle reste, quoique l'on puisse en dire, une forme d'esclavage même si on la croit "librement choisie."
Certes, diront les partisans du libre-arbitre absolu, pour certains, il s'agit d'un choix personnel et donc respectable. C'est oublier les grands classiques des sociologues qui, sans nier la part de déterminisme individuel, ont démontré de longue date que ce que l'on croit être une liberté de choix n'est en fait que l'aboutissement de processus sociaux complexes et inter-relationnels conduisant à la soumission consentie.
En fait, revendiquer le droit à la sexualité, à l'amour, à la tendresse, est-ce bien raisonnable ? Ce terme devant s'entendre non comme un précepte moraliste mais comme le devoir de prendre une attitude réflexive devant ce qui relève finalement de l'irrationalité des sentiments. Sauf à considérer que la sexualité est seulement un phénomène mécanique et biologique, ce qui pour le moins réduit la dimension prétendue humaniste du débat.
De longue date, deux approches s'opposent concernant la prise en considération de la justice et de la souffrance. Celui de l'égalité de droit, principe de la Déclaration des droits de l'homme issus des Lumières, et qui effectivement dans sa prétention universaliste se construit sur la base d'un humain idéalisé au sein d'un groupe social sans aucun enjeu de pouvoir et de rapport de domination. Au sein de celui-ci chacun peut à "égalité de chance" trouver sa "vrai" place et s'y épanouir. L'autre venue du monde anglo-saxon pour lequel le principe de compensation vise à réparer les injustices dont certains membres du groupe peuvent être victimes du fait de leur "particularisme" : le statut de victime devant permettre l'exercice de droits différents. L'inégalité de situation devient acceptable puisque faisant l'objet de réparation, ce qui là encore reste à démontrer. Mais, nous savons que la différence de droit conduit le plus souvent à des droits différents et au final réduit…
Le débat autour de la loi Chossy ne peut se résoudre à ces approches au final manichéennes, mais il mériterait pour le moins de prendre en compte les deux conceptions. Au final, rien de très nouveau, si ce n'est que l'on veut sous couvert de modernisme et à partir de dénonciation sensationnaliste de la souffrance certes réelle, nous faire accepter qu'en matière de relation humaine tout se vaut.  Mais que surtout l'émotion primerait sur la réflexion et que la marchandisation des relations et des corps en est l'avenir indépassable. Les générations de l'avant soixante-huit (point de référence semble-t-il de la révolution sexuelle) étaient éduquées avec une perspective où la sexualité et le sentiment étaient par principe détachés.
Héritage d'une époque où l'on se mariait davantage par intérêt que par amour, l'homme allant trouver son plaisir hors du domicile conjugal. Il n'était pas scandaleux que le jeune homme aille voir "les femmes faites pour ça" afin de respecter celle avec lesquelles il devait convoler en juste noce. Et c'est bien là que l'approche soi-disant libératrice de la mise en place des assistants sexuels nous ressort les vielles lunes réactionnaires que l'on croyait jeté aux oubliettes de l'histoire, pour reprendre une division discutable de la sexualité réduite à une fonction bio-physiologique et détaché de l'affect mais soumises à la marchandisation.
La question ne peut trouver de réponses par la seule loi dans les nécessaires débats sur l'importante question de la sexualité en général. Celle-ci outre les points déjà évoqués en implique d'autres :
- Celui de la prostitution et du choix réglementariste ou abolitionniste.
- Celui de la limite entre ce qui relève de l'érotisme et de la pornographie.
- Celui du lien amour(s) et sexualité.
- Celui du "droit" ou/et respect de l'intimité…
- Jusqu'où accompagner le désir et le plaisir sexuels de l'autre et donc quelles sont les limites de l'expression sexuelle dans l'espace public…
Mais tout simplement à vouloir traiter de manière particulière la question de la sexualité des personnes handicapée, ne fait-on pas de ces individus des citoyens et des citoyennes à part mais en tout cas pas, à part entière. Avec pour conséquence de renforcer les ghettos sociaux dans lesquels ils/elles restent trop souvent enfermé(e)s.
Une fois encore, ce n'est pas de compassion et de modalités de "réparation pour remplacer les privations" dont les personnes handicapées ont besoin. C'est de s'inscrire dans les luttes pour la mise en œuvre des principes de solidarité. Ce sont les chemins certes difficiles qui les conduiront avec l'ensemble de la société à l'égalité de droit réelle et non formelle. La question n'est peut-être pas celle de l'exigence d'une loi mais de débattre sur le comment accompagner dans la liberté de choix la sexualité des personnes handicapées. Et ce à partir d'un respect du principe du refus de la marchandisation des corps qui doit en être une base absolue. Le leur comme celui des autres qui sont tout autant de situations particulières.
Henri Saint Jean, formateur à l'Institut Méditerranéen de Recherche et de Formation en travail Social, Marseille
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